L’économie du troisième reich : entre autarcie, militarisation et spoliation

L'économie du Troisième Reich représente une période complexe et controversée de l'histoire économique mondiale. Sous le régime nazi, l'Allemagne a connu une transformation radicale de son système économique, passant d'une économie de marché en crise à une économie dirigée et militarisée. Cette évolution, marquée par des politiques d'autarcie, de réarmement massif et d'exploitation des territoires occupés, a eu des conséquences profondes sur la société allemande et l'Europe tout entière.

Autarcie et plan quadriennal de hjalmar schacht

Dès l'arrivée au pouvoir d'Hitler en 1933, l'économie allemande est placée sous le signe de l'autarcie. Cette politique vise à rendre l'Allemagne indépendante des importations étrangères, notamment en matières premières stratégiques. Hjalmar Schacht, nommé ministre de l'Économie en 1934, est l'architecte du premier plan quadriennal qui définit les grandes orientations économiques du régime.

Le plan de Schacht repose sur plusieurs piliers :

  • La réduction drastique des importations
  • Le développement de produits de substitution (Ersatz)
  • L'augmentation de la production agricole nationale
  • La mobilisation de l'industrie pour le réarmement

Cette politique d'autarcie s'accompagne d'un contrôle strict des changes et d'accords commerciaux bilatéraux avec certains pays. L'objectif est de préserver les réserves de devises du Reich pour les importations jugées essentielles. Schacht met également en place un système ingénieux de financement occulte du réarmement via les MEFO-Wechsel, des traites émises par une société écran.

L'autarcie n'est pas une fin en soi, mais un moyen de préparer l'Allemagne à la guerre en la rendant moins vulnérable aux pressions économiques extérieures.

Malgré ses succès initiaux, notamment dans la réduction du chômage, la politique de Schacht se heurte rapidement aux limites des ressources allemandes et aux ambitions démesurées du régime nazi en matière de réarmement.

Militarisation de l'économie sous hermann göring

En 1936, Hitler confie à Hermann Göring la direction d'un nouveau plan quadriennal, marquant une accélération de la militarisation de l'économie allemande. Göring, moins orthodoxe que Schacht en matière économique, pousse encore plus loin la logique d'autarcie et de préparation à la guerre.

Création du reichswerke hermann göring

L'une des initiatives phares de Göring est la création du conglomérat industriel Reichswerke Hermann Göring. Ce gigantesque complexe sidérurgique et minier a pour mission d'exploiter les gisements de fer à faible teneur en Allemagne, jugés peu rentables par l'industrie privée. L'objectif est de réduire la dépendance aux importations de minerai de fer, crucial pour l'industrie de l'armement.

Le Reichswerke devient rapidement l'un des plus grands groupes industriels d'Europe, symbolisant la mainmise croissante de l'État nazi sur l'économie. Son développement se fait au détriment des grands industriels privés, qui voient leur influence diminuer.

Développement de l'industrie synthétique

Un autre axe majeur de la politique de Göring est le développement massif de l'industrie des produits de synthèse. Face au manque de matières premières, l'Allemagne investit massivement dans la recherche et la production de substituts :

  • Carburants synthétiques à partir du charbon
  • Caoutchouc synthétique (Buna)
  • Fibres textiles artificielles

Ces investissements colossaux mobilisent une part importante des ressources du Reich. Le géant de la chimie IG Farben joue un rôle central dans ce processus, devenant un pilier de l'économie de guerre nazie.

Mobilisation des ressources pour le réarmement

La priorité absolue du régime nazi reste le réarmement massif de l'Allemagne. Sous l'impulsion de Göring, l'ensemble de l'économie est orienté vers cet objectif. Les dépenses militaires passent de 3% du PIB en 1933 à près de 20% en 1938.

Cette mobilisation se traduit par :

  • Une réorientation de la production industrielle vers les biens d'armement
  • Des investissements massifs dans les infrastructures militaires
  • Une pression accrue sur la main-d'œuvre pour augmenter la productivité

Le Vierjahresplan (plan de quatre ans) de Göring vise explicitement à préparer l'économie allemande à soutenir une guerre d'ici 1940. Cette course effrénée au réarmement se fait au détriment de l'économie civile et du niveau de vie de la population.

Impact sur l'emploi et la production industrielle

La militarisation de l'économie a des effets spectaculaires sur l'emploi et la production industrielle. Le chômage, qui touchait plus de 6 millions d'Allemands en 1933, est quasiment résorbé dès 1936. La production industrielle dépasse son niveau d'avant-crise dès 1935 et connaît une croissance soutenue jusqu'à la guerre.

Cependant, ces succès apparents masquent des déséquilibres profonds :

  • Une allocation inefficace des ressources vers l'industrie militaire
  • Une pénurie croissante de biens de consommation
  • Une détérioration des conditions de travail

La propagande nazie présente ces résultats comme un miracle économique, occultant les coûts humains et les fragilités structurelles de cette croissance artificielle.

Financement de l'économie par les mefo-wechsel

Le financement de l'immense effort de réarmement pose un défi majeur au régime nazi. Pour contourner les limitations imposées par le traité de Versailles et masquer l'ampleur réelle des dépenses militaires, Schacht met en place un ingénieux système de financement occulte : les MEFO-Wechsel.

Ces traites sont émises par une société écran, la Metallurgische Forschungsgesellschaft (MEFO), créée spécifiquement à cet effet. Le mécanisme fonctionne comme suit :

  1. Les entreprises d'armement sont payées en MEFO-Wechsel
  2. Ces traites peuvent être escomptées auprès des banques
  3. La Reichsbank s'engage à les racheter à échéance

Ce système permet de financer le réarmement sans faire apparaître ces dépenses dans le budget de l'État. Il contribue également à stimuler l'économie en injectant des liquidités dans le circuit. Entre 1934 et 1938, près de 12 milliards de Reichsmarks de MEFO-Wechsel sont émis, soit l'équivalent d'une année entière de recettes fiscales.

Les MEFO-Wechsel constituent une forme de création monétaire déguisée, alimentant les risques inflationnistes à long terme.

Ce mode de financement non orthodoxe atteint ses limites vers 1938, contribuant à la mise à l'écart de Schacht et à l'adoption de méthodes de financement encore plus risquées sous l'égide de Göring.

Spoliation des biens juifs et "aryanisation" économique

La politique économique du Troisième Reich est indissociable de l'idéologie raciste du régime nazi. L'exclusion progressive des Juifs de la vie économique allemande, puis leur spoliation systématique, constituent un aspect central de l'économie nazie.

Lois de nuremberg et exclusion économique

Les lois de Nuremberg de 1935 marquent le début de l'exclusion légale des Juifs de la société allemande. Sur le plan économique, cela se traduit par une série de mesures discriminatoires :

  • Interdiction d'exercer certaines professions
  • Exclusion des marchés publics
  • Restrictions sur la propriété foncière et immobilière

Ces mesures visent à marginaliser économiquement la communauté juive et à préparer le terrain pour une expropriation à grande échelle.

Kristallnacht et confiscations massives

La Kristallnacht (Nuit de Cristal) du 9 novembre 1938 marque une escalade dramatique dans la persécution économique des Juifs. Au-delà des violences physiques, cette pogrom organisée s'accompagne de destructions massives de commerces et d'entreprises appartenant à des Juifs.

Dans les semaines qui suivent, le régime nazi légalise la confiscation des biens juifs à grande échelle. Les assurances sont interdites d'indemniser les victimes, tandis qu'une amende collective d'un milliard de Reichsmarks est imposée à la communauté juive.

Transfert des entreprises juives aux "aryens"

L'aryanisation de l'économie allemande s'accélère à partir de 1938. Ce processus consiste à transférer les entreprises et les biens juifs à des propriétaires aryens. Il prend différentes formes :

  • Ventes forcées à des prix bradés
  • Nominations d'administrateurs aryens
  • Confiscations pures et simples

Les grands groupes allemands, comme les banques et les compagnies d'assurance, participent activement à ce processus d'aryanisation, profitant de l'occasion pour étendre leurs activités à moindre coût.

La spoliation économique des Juifs allemands représente un transfert de richesse colossal, estimé à plusieurs milliards de Reichsmarks.

Cette politique de spoliation s'étendra par la suite aux territoires occupés par l'Allemagne nazie, devenant un élément central de l'exploitation économique de l'Europe sous domination allemande.

Exploitation économique des territoires occupés

L'expansion territoriale de l'Allemagne nazie à partir de 1938 s'accompagne d'une exploitation économique systématique des territoires conquis. Cette politique vise à soutenir l'effort de guerre allemand et à réaliser le projet d'un Großwirtschaftsraum (grand espace économique) dominé par le Reich.

Pillage des ressources en europe de l'est

L'invasion de l'Union soviétique en 1941 marque le début d'une exploitation particulièrement brutale des ressources de l'Europe de l'Est. Le Generalplan Ost prévoit une réorganisation complète de ces territoires au profit de l'Allemagne :

  • Confiscation des terres agricoles
  • Pillage systématique des matières premières
  • Démantèlement et transfert d'usines entières vers l'Allemagne

Cette politique de prédation économique s'accompagne de crimes de masse contre les populations locales, considérées comme sous-hommes par l'idéologie nazie.

Système du travail forcé (organisation todt)

Pour soutenir son effort de guerre, l'Allemagne nazie met en place un vaste système de travail forcé. Des millions de travailleurs étrangers, principalement d'Europe de l'Est, sont déportés vers le Reich pour travailler dans l'industrie et l'agriculture.

L'Organisation Todt, dirigée par Fritz Todt puis Albert Speer, joue un rôle central dans ce système. Elle mobilise une main-d'œuvre considérable pour la construction d'infrastructures militaires et industrielles, dans des conditions souvent inhumaines.

Origine Nombre de travailleurs forcés (estimation)
Union soviétique 2,8 millions
Pologne 1,7 million
France 1,5 million

Ce recours massif au travail forcé permet à l'Allemagne de maintenir sa production de guerre malgré la mobilisation de millions d'hommes sur le front.

Intégration économique de l'autriche (anschluss)

L'annexion de l'Autriche en mars 1938 (Anschluss) offre à l'Allemagne nazie l'opportunité d'intégrer une économie développée à son propre système. Cette intégration se fait au bénéfice quasi-exclusif du Reich :

  • Confiscation des réserves d'or de la banque centrale autrichienne
  • Réorientation de l'industrie autrichienne vers les besoins allemands
  • Exploitation des ressources naturelles, notamment hydroélectriques

L'Anschluss économique permet à l'Allemagne de renforcer son potentiel industriel et d'accéder à de nouvelles ressources stratégiques. Il sert également de modèle pour l'intégration économique des territoires qui seront conquis par la suite.

Effon

drement économique et hyperinflation finale

La phase finale de l'économie du Troisième Reich est marquée par un effondrement brutal et une hyperinflation galopante. À mesure que la guerre tourne en défaveur de l'Allemagne, les fragilités structurelles de son système économique sont exacerbées, conduisant à une désintégration rapide.

Pénuries et économie de pénurie

Dès 1943, l'Allemagne entre dans une phase d'économie de pénurie généralisée. Les bombardements alliés détruisent systématiquement les infrastructures industrielles et les réseaux de transport. La production de biens de consommation s'effondre au profit d'un effort de guerre désespéré.

  • Rationnement drastique des denrées alimentaires
  • Disparition progressive des biens manufacturés du marché
  • Réquisitions massives pour soutenir l'effort de guerre

La population civile est soumise à des privations croissantes, tandis que le marché noir se développe de manière exponentielle. Le système de rationnement, initialement efficace, s'effondre progressivement face à la raréfaction des ressources.

Désorganisation du système productif

L'intensification des bombardements alliés et l'avancée des troupes ennemies sur le territoire du Reich provoquent une désorganisation complète du système productif allemand. Les usines sont détruites ou délocalisées, les chaînes d'approvisionnement sont rompues, et la main-d'œuvre devient de plus en plus rare.

En 1944, la production industrielle allemande ne représente plus que 50% de son niveau de 1941, malgré les efforts désespérés d'Albert Speer pour maintenir l'effort de guerre.

La mobilisation des dernières ressources humaines, y compris les enfants et les personnes âgées, ne parvient pas à enrayer ce déclin inexorable. L'économie allemande entre dans une spirale de décroissance accélérée.

Financement inflationniste et effondrement monétaire

Face à l'effondrement des recettes fiscales et à l'épuisement des ressources, le régime nazi recourt massivement à la planche à billets pour financer ses dépenses militaires. Cette politique monétaire désastreuse conduit à une explosion de la masse monétaire en circulation :

Année Masse monétaire (milliards de Reichsmarks)
1939 11
1944 73
1945 300

Cette explosion monétaire, combinée à la raréfaction des biens disponibles, déclenche une hyperinflation galopante. Le Reichsmark perd toute valeur, et l'économie allemande régresse vers un système de troc généralisé.

Conséquences économiques de la défaite

La capitulation allemande en mai 1945 laisse le pays dans un état de ruine économique sans précédent. Les conséquences sont dévastatrices :

  • Destruction de 20% du parc de logements
  • Anéantissement de 40% des capacités industrielles
  • Effondrement des réseaux de transport et de communication
  • Désorganisation complète du système monétaire et financier

La reconstruction de l'économie allemande nécessitera des années d'efforts et un soutien international massif, notamment à travers le plan Marshall. L'hyperinflation ne sera finalement jugulée qu'avec la réforme monétaire de 1948, qui introduira le Deutsche Mark et posera les bases du Wirtschaftswunder (miracle économique) ouest-allemand des années 1950.

L'effondrement économique final du Troisième Reich illustre de manière éclatante les limites et les contradictions inhérentes au système mis en place par les nazis. L'économie de guerre totale, poussée à son paroxysme, s'est finalement retournée contre ses concepteurs, laissant l'Allemagne exsangue et dévastée.